Martin von Mirbach
Sommaire
L’élaboration de critères et d’indicateurs (C-I) constructifs pour l’aménagement forestier durable pose souvent un défi si l’on songe à la diversité des intérêts en jeu dans les forêts modèles et à la multiplicité des utilisations possibles des C-I. Fort de sa longue expérience auprès d’un grand nombre de forêts modèles, l’auteur traite de certains des défis les plus courants qui surviennent aux divers stades de l’élaboration des indicateurs locaux : par où commencer; choisir les indicateurs; garder l’élan; adopter la bonne approche. L’article aborde aussi quelques-unes des utilisations les plus répandues des C-I (p. ex. la gestion prévisionnelle, l’obligation de rendre compte, les meilleures pratiques de gestion et la sensibilisation du public) et explique comment de subtiles différences dans ces objectifs peuvent influer sur la sélection des indicateurs et la façon dont les C-I peuvent être mis en oeuvre.
Un champ de colza doré longe la route qui traverse la Forêt modèle de Lin’an, en Chine (en haut), où des peuplements de sapins et de bambous ont été établis. L’aménagement durable des forêts, qui sert à de multiples usages, peut grandement profiter des indicateurs locaux qui donnent une idée plus juste de l’état des forêts.
Depuis une dizaine d’années, on constate, à l’échelle internationale, un intérêt croissant pour l’élaboration et l’utilisation de critères et d’indicateurs (C-I) de l’aménagement forestier durable (AFD). Des processus d’élaboration de C-I internationaux ont été amorcés sous les auspices de l’Association internationale des bois tropicaux et de diverses initiatives internationales visant à explorer des approches communes des C-I, comme le Processus de Montréal, le Processus d’Helsinki, les C-I pour les pays de l’Amazonie, notamment. Ces initiatives témoignent de l’engagement de divers pays envers la gestion durable des forêts, signe que, de plus en plus, il est acquis que le sort des forêts préoccupe la planète tout entière.
Mais que signifient au juste ces critères et indicateurs ? Qu’est-ce que des initiatives nationales d’élaboration de C-I ont à voir avec des pratiques sur le terrain ? Quel genre de demandes fait-on à l’égard des forêts, quelle sorte de pressions exerce-t-on et comment y réagit-on ? Les choses s’améliorent-elles ou est-ce qu’elles empirent ? Pour répondre à ces questions fondamentales, il est essentiel de recueillir de l’information à l’échelon local, là où se déroulent les activités qui ont une incidence sur les forêts. Les indicateurs locaux ou sur le terrain permettent de prendre le pouls des forêts, d’obtenir des renseignements importants sur leur état et sur les collectivités qu’elles font vivre.
J’expose dans le présent article quelques-unes de mes vues personnelles sur le sujet après cinq ans de travail sur les indicateurs locaux, d’abord auprès des forêts modèles du Canada, puis en Asie du Sud-Est. Je m’estime privilégié de travailler au sein des forêts modèles, à divers titres : en tant qu’intervenant, président de comité, facilitateur, consultant et analyste. Ce travail a porté sur des forêts modèles de tous genres, de celles qui s’intéressent principalement à la foresterie industrielle à d’autres à vocation plus communautaire. Certaines sont des forêts vierges luxuriantes, d’autres sont situées sur des terres sérieusement dégradées. Certaines se trouvent en situation financière précaire alors que d’autres ont tant d’argent qu’elles ne savent quoi en faire. Certains partenariats des forêts modèles sont dirigés par intérêts gouvernementaux, d’autres par des intérêts commerciaux ou par des groupes autochtones. Certaines hésitent à s’occuper de l’élaboration d’indicateurs locaux ou ne l’abordent qu’avec réticence, tandis que d’autres s’y adonnent avec enthousiasme.
Malgré l’incroyable diversité des forêts modèles, j’y trouve de nombreuses similarités, en particulier en ce qui a trait aux défis à relever. J’aimerais donner un aperçu de ces défis puisqu’il peut être utile de savoir en quoi ils sont communs aux forêts modèles. Nous pouvons apprendre beaucoup en examinant et analysant ces défis, et en discutant des diverses façons de les aborder.
Les forces de l’approche des forêts modèles des indicateurs locaux
Avant d’examiner ces défis, toutefois, il importe de jeter un coup d’œil sur les forces de l’approche des forêts modèles quant aux indicateurs locaux. Lors d’un colloque sur les critères et indicateurs des forêts modèles et sur le terrain tenu à Lin’an, en Chine, en juin 2001, les participants ont convenu de trois éléments fondamentaux pour ce qui est de l’approche des forêts modèles des C-I. Ces caractéristiques s’appliquent à toutes les forêts modèles où qu’elles soient, et il est bon de s’y attarder car elles expliquent dans une large mesure pourquoi les forêts modèles ont tant à offrir.
L’envergure : Les forêts modèles sont, pour la plupart, des zones opérationnelles. Bien que leurs dimensions puissent varier selon le mode de propriété, d’occupation et de gestion, l’envergure des forêts modèles suit en règle générale la superficie de l’unité d’aménagement de la région où elles sont situées. Voilà pourquoi les indicateurs locaux des forêts modèles permettent de comprendre l’incidence des décisions de gestion sur les forêts et les collectivités mieux que les grands indicateurs nationaux qui semblent plus aptes à dégager les tendances générales plutôt que d’arrêter des réponses précises.
Les partenaires : On a dit des forêts modèles qu’elles sont des expériences en sociologie de la prise de décisions, les partenariats et la collaboration étant au cœur même de la conception des forêts modèles. C’est là une force particulièrement utile lors de l’élaboration des indicateurs locaux car la question de l’aménagement forestier durable est si vaste qu’elle requiert les compétences
les plus diverses. Aucun organisme – ou même un groupe de ministères gouvernementaux – ne peut espérer saisir parfaitement toute la gamme des valeurs et des intérêts associés aux forêts.
Le réseautage : Les forêts modèles comptent sur le réseautage avec d’autres forêts modèles pour partager des idées et des stratégies susceptibles d’amener leurs partenaires à participer à l’AFD. Ces réseaux peuvent être d’envergure nationale, régionale ou internationale, mais leur principal avantage est de mettre en contact des gens d’intérêts, de formation, d’opinions et de compétences diversifiés qui partagent tous le même objectif : faire progresser l’aménagement forestier durable. Cette diversité favorise la créativité, l’innovation et l’ouverture d’esprit nécessaire pour trouver de nouvelles façons de résoudre les problèmes.
Cette diversité de points de vue au sein des forêts modèles rend certaines tâches plus difficiles à accomplir, et il peut être plus long d’en arriver à un consensus sur les moyens d’avancer. Les défis se posent à diverses étapes de l’élaboration des C-I : où commencer, choisir les indicateurs, recueillir les données et garder l’élan. Il est important de reconnaître et de comprendre ces défis afin de concevoir des méthodes et des stratégies pour y faire face. Nous exposons brièvement ci-après quelques-uns de ces défis, que doivent relever la majorité des forêts modèles, sinon toutes.
La gestion des forêts modèles est une œuvre de collaboration qui rassemble un grand nombre de personnes aux points de vue, compétences et intérêts les plus divers. Un projet d’élaboration de C-I ne peut combler les attentes de tout le monde, toutefois. La sélection des indicateurs locaux doit tenir compte des différentes priorités.
Pour commencer
Bien que toutes les forêts modèles reconnaissant l’importance des C-I locaux ou sur le terrain, elles sont souvent lentes à démarrer. On peut passer beaucoup de temps à débattre de questions fondamentales comme : Que souhaitons-nous accomplir par l’élaboration de C-I ? Qu’entend-on par indicateur ? Qu’est ce que » local » signifie dans notre situation ? Qui doit participer et pourquoi ? Qu’est-ce qui est en cause : la science ou les gens ?
Ces questions peuvent paraître simples mais elles appellent une multitude de réponses valables. Il arrive fréquemment que les projets d’élaboration de C-I des forêts modèles débutent mal lorsqu’un partenaire tente de répondre à ces questions au nom du groupe et d' » expliquer » à tous les membres ce qu’on entend par C-I. Presque toujours, ces explications sont l’expression du point de vue et des intérêts du partenaire en question et non de l’ensemble du groupe.
Il est habituellement préférable d’ouvrir le débat sur les principes fondamentaux sans s’attendre à trop au début. Même s’il est important que les partenaires qui ont des compétences particulières ou de l’expérience en matière de C-I se fassent entendre, il faut aussi laisser aux autres partenaires la possibilité de modifier l’orientation ou les priorités de l’élaboration de C-I par une forêt modèle si le projet peut ainsi être plus pertinent à leurs yeux.
Cette façon de procéder peut donner lieu à un problème différent, soit la tendance à continuer de discuter des questions de fond sans en arriver à une solution. On sait qu’on est aux prises avec ce problème lorsque les discussions tournent autour des mêmes questions pendant trois réunions de suite. Pour éviter cette situation, il faut soigneusement documenter les points sur lesquels les membres du groupe s’entendent et ceux qui nécessitent une discussion plus approfondie. Il est parfois utile de se mettre d’accord sur un mandat, un plan de travail ou un énoncé de principes. Ces questions peuvent toujours faire l’objet de discussions ultérieures, mais au moins elles aident à déterminer les progrès accomplis.
La sélection des indicateurs
La sélection d’une première série d’indicateurs locaux soulève de nombreuses questions. Faut-il s’inspirer d’indicateurs nationaux ou internationaux déjà établis ou faut-il reprendre à zéro ? Faut-il utiliser uniquement des indicateurs quantitatifs ou inclure aussi des indicateurs descriptifs ? Faut-il élaborer des indicateurs qui donnent une information complète sur tout le terrain dont la forêt modèle s’occupe ou devrait-on prévoir des études de cas particulières ? Choisissons-nous des indicateurs qui améliorent nos connaissances scientifiques sur l’ADF ou ces indicateurs doivent-ils servir à décrire des zones critiques ?
Bien qu’il existe plusieurs manuels sur les caractéristiques de bons indicateurs (mesurables, pertinents, adaptés aux activités de gestion, etc. ), ils présentent tous des lacunes. D’abord, ils semblent être surtout utiles pour évaluer les indicateurs scientifiques de l’état des écosystèmes, mais beaucoup moins pour évaluer les indicateurs portant sur les valeurs culturelles et sociales. Ensuite, ils ne traitent aucunement de cette question fondamentale, à savoir pourquoi ces indicateurs ont été choisis en premier lieu. Enfin, ils n’indiquent pas quoi faire lorsque (comme cela se produit toujours) certains indicateurs ne répondent pas aux critères de sélection mais qu’on a de bonnes raisons de vouloir les garder quand même.
Voici quelques éléments dont il faut tenir compte lors de la sélection des indicateurs. D’abord et avant tout, il faut savoir très exactement pourquoi on décide d’élaborer des indicateurs et ce à quoi on veut qu’ils servent. Le tableau suivant présente un certain nombre d’objectifs pour l’élaboration de C-I de même que les principales caractéristiques des indicateurs axés un objectif précis et des exemples d’indicateurs liés à la qualité de l’eau et à l’intervention du public au regard d’un objectif particulier.
Objectif | Principales caractéristiques des indicateurs | Indicateurs de la qualité de l’eau | Indicateur de l’engagement public |
Accroître les connaissances et la compréhension | Doivent être axés sur les principales questions nécessitant plus d’information | Changements dans les substances nutritives de l’eau | Résultats des enquêtes sur la » satisfaction du public « |
Orienter l’élaboration des plans de gestion forestière | Doivent porter sur les facteurs sur lesquels les gestionnaires forestiers peuvent influer | Turbidité de l’eau | Occasions précises prévues dans le processus de planification pour obtenir l’opinion du public |
Favoriser la cohérence et l’appui des partenariats | Doivent traiter des principales préoccupations des intervenants | Zones tampons le long des cours d’eau | Diversité de représentants des intervenants sérieusement engagés |
Accroître la compréhension de l’AFD au sein dupublic | Doivent présenter un intérêt et être compréhensibles pour le public | Initiatives de gestion des bassins hydrographiques | Préparation et diffusion de documents d’information à l’intention du public |
Tableau 1 : Caractéristiques et exemples d’indicateurs utiles selon des objectifs précis
Les C-I peuvent être utilisés de nombreuses autres façons, mais ces quelques exemples suffisent pour démontrer comment une bonne compréhension des objectifs et des résultats escomptés peut aider à la sélection d’indicateurs appropriés.
La collecte des données
Lorsque les partenaires d’une forêt modèle réussissent à s’entendre sur une première série d’indicateurs, ils en ressentent une grande satisfaction et un sentiment d’accomplissement. Toutefois, c’est là où le véritable travail commence. Même lorsque vous ne recueillez pas de nouvelles données mais que vous compilez l’information qui existe déjà, la collecte de données demande toujours plus de temps et d’efforts que ce qui avait été prévu. Nous exposons dans les paragraphes suivants quelques-uns des obstacles les plus courants.
Des lacunes statistiques imprévues : L’information est souvent imparfaite.
Vous pouvez disposer d’information sur la qualité de l’eau pour quelques-uns seulement des principaux sites de la zone de la forêt modèle ou encore les registres d’une société d’exploitation forestière peuvent être incomplets. L’information sur les produits forestiers non ligneux peut avoir une portée restreinte ou n’être disponible que pour un district qui ne correspond pas parfaitement aux limites de votre zone de projet. Si votre forêt modèle comporte un parc ou une zone protégée, l’information sur cette zone peut être incompatible avec un autre ensemble de données. Ce sont des problèmes auxquels toutes les forêts modèles font face et leur solution exige de la souplesse. Parfois, il est possible d’adapter votre indicateur à un autre auquel des données plus pertinentes sont associées. Parfois aussi, il peut suffire de faire rapport sur une » étude de cas » particulière, comprise dans la zone de la forêt modèle, pour laquelle vous disposez d’excellentes données. En d’autre temps, il peut être acceptable de préparer votre rapport en vous servant des meilleures données dont vous disposiez – même s’il y a des lacunes – en espérant que d’autres vous proposeront de vous aider à combler ces lacunes.
La réticence à diffuser l’information : On peut donner plusieurs raisons pour refuser de diffuser l’information. Les entreprises d’industries concurrentes peuvent être réticentes à l’idée de communiquer des renseignements exclusifs. Certains organismes peuvent craindre que l’information soit mal interprétée, et hésitent souvent à diffuser de l’information sur des tendances » négatives » qui pourraient nuire à leur réputation. Parfois, des organisations ou des gens qui accumulent des renseignements ne sont pas prêts à les partager. Deux stratégies peuvent aider à faire face à ce genre de situations. Premièrement, il est important de rallier au projet d’élaboration de C-I tous les principaux partenaires qui possèdent des renseignements dont vous pourriez avoir besoin et de faire confirmer cet engagement à un échelon suffisamment élevé pour aider à contourner ces obstacles. Deuxièmement, il est très important d’utiliser avec circonspection l’information qu’on vous a donnée, de respecter la confidentialité et d’éviter d’interpréter l’information sans vérifier vos conclusions avec l’organisme qui vous a fourni les données.
Trop de travail, pas assez de temps : Il est rare qu’une forêt modèle ou un partenaire d’une forêt modèle puisse affecter à temps plein un membre de son personnel à la collecte des données. Habituellement, les gens s’occupent de cette importante étape en sus de leur travail » régulier » qui, souvent, a la priorité. Une fois de plus, ce sont dans des cas comme celui-là que les partenariats de forêts modèles peuvent être d’une grande utilité. Les tâches peuvent être réparties entre plusieurs partenaires de sorte que toute la responsabilité ne soit pas à la charge d’un seul organisme. Dans ce cas, toutefois, il est toujours important d’assigner la responsabilité principale à quelqu’un en particulier, sinon le travail risque de ne pas se faire. Il peut être utile également de fixer des échéances réalistes, puis de faire tout son possible pour les respecter. Cela peut vouloir dire que vos premiers rapports seront moins complets que vous ne l’auriez souhaité, mais il importe tout de même de montrer régulièrement que vous progressez.
Les forêts modèles illustrent les interactions des gens avec les écosystèmes forestiers. Les indicateurs socio-économiques aident à faire valoir les avantages de l’aménagement forestier durable aux collectivités locales tributaires des ressources forestières.
Garder l’élan
Une des caractéristiques importantes des projets d’élaboration de C-I des forêts modèles est que les progrès sont très irréguliers. Les projets mettent souvent du temps à démarrer, comme on l’a expliqué plus haut. Puis, les choses se mettent en place et on fait rapidement des progrès jusqu’à ce qu’on arrive à une étape importante; on organise alors un colloque ou on rédige un rapport majeur. Tous les participants estiment que le projet se déroule bien, puis… il ne se passe plus rien. Les gens qui participaient activement au projet entreprennent autre chose, et le projet commence à stagner. Bien que ce genre de situation soit compréhensible et, dans une certaine mesure, inévitable, tâcher de reprendre l’élan après une accalmie peut être un défi intéressant. Mais cela peut être particulièrement difficile lorsqu’un projet dépend des efforts conjugués de plusieurs partenaires.
Pour relever ce défi, on peut notamment s’assurer qu’il existe un plan de travail à long terme et que chaque étape du projet est clairement décrite. Ce plan doit être révisé régulièrement, mais il est utile pour rappeler à tous les participants les tâches dont ils sont chargés – l’élaboration d’une première série d’indicateurs, par exemple, n’est qu’une étape importante d’un processus beaucoup plus vaste.
Il est également important d’examiner régulièrement la participation des partenaires. Certes, il est formidable d’avoir des partenaires qui sont disposés à se faire les champions des projets ou à en prendre la direction, mais il est aussi extrêmement important d’être sensible aux besoins de tous les partenaires et de veiller à ce que le projet ne soit pas contrôlé par les partenaires qui y participent le plus activement. Il peut être utile de revoir régulièrement la composition de votre partenariat. Y a-t-il des partenaires qui participaient activement mais qui ont décroché à un certain moment ? Pourquoi cela s’est-il produit et comment pouvez-vous modifier le projet pour qu’ils y reprennent un rôle actif et constructif ? Est-il temps de recruter d’autres partenaires ? Il n’est pas toujours nécessaire d’inciter des gens à participer juste pour la beauté de la chose, et personne ne continuera de participer à un projet s’il n’en tire pas d’avantages concrets. Les avantages des projets d’élaboration de C-I peuvent être nombreux : les partenaires peuvent obtenir des renseignements utiles, se pencher sur des questions qui les touchent de près ou simplement avoir droit à la reconnaissance et au respect d’autrui. Les forêts modèles doivent comprendre les motivations de leurs partenaires et faire en sorte que le projet continue d’être intéressant pour toutes les personnes qui y participent.
Adopter la bonne approche
Le défi le plus important consiste sans aucun doute à adopter la bonne approche. Il faut y faire face dès le départ, il doit constamment orienter les activités du projet et il faut le revoir et le réviser régulièrement. Il faut reconnaître – c’est primordial – qu’aucun projet d’élaboration de C-I ne peut avoir une égale importance pour tous. Il faut faire des choix qui tiennent compte des priorités de chacun et garder ces priorités à l’esprit à toutes les étapes du projet si l’on veut qu’il ne dévie pas des objectifs fixés. Nous donnons ci-après un aperçu de différents moyens d’utiliser les C-I locaux ou sur le terrain ainsi que des principales caractéristiques qui assurent la réussite d’un projet d’élaboration de C-I.
La gestion prévisionnelle. Lors d’un exercice de planification de gestion, les indicateurs sur le terrain doivent être spécifiquement liés aux objectifs de gestion. Les indicateurs de gestion prévisionnelle sont utiles surtout lorsqu’il est possible de prévoir les valeurs qui seront éventuellement préférées pour ces indicateurs car on peut alors les intégrer dans une structure de planification de gestion adaptative. Il importe en ce cas de veiller à ce que les indicateurs soient parfaitement intégrés au processus de gestion prévisionnelle et ne constituent pas un ajout distinct.
Les meilleures pratiques de gestion. Les indicateurs servent souvent à déterminer et à définir les meilleurs pratiques de gestion. Les indicateurs sont alors exposés de façon normative, par exemple : » ménager une zone tampon de 20 mètres le long des cours d’eau « . Les indicateurs doivent fixer des objectifs ambitieux mais réalistes, et ils devraient pouvoir servir à déterminer si l’on s’y conforme.
Plus qu’une ressource, les forêts ont longtemps eu une valeur esthétique et spirituelle pour la société et les cultures. En haut : C’est à Tian Mu Shan (la Montagne de l’œil céleste), dans la Forêt modèle de Lin’an, en Chine, qu’est né le boudhisme zen.
L’obligation de rendre compte. Une des utilisations les plus importantes des indicateurs locaux consiste à aider à la résolution de conflits locaux sur la gestion et l’utilisation des ressources. Ils peuvent être particulièrement utiles dans les cas où des groupes ayant des points de vue et des valeurs différents hésitent à se faire confiance. Un ensemble d’indicateurs locaux peut servir d’étalon neutre permettant d’évaluer si les sociétés forestières, les entrepreneurs en exploitation
forestière ou les organismes gouvernementaux respectent les engagements qu’ils ont pris. En ce cas, il est particulièrement important que toutes les parties intéressées se mettent d’accord sur les indicateurs qui seront utilisés afin que les résultats puissent être admis par tous les intervenants.
Les communications. Les C-I peuvent être d’excellent moyens de sensibiliser le public à l’aménagement forestier durable et de lui faire mieux comprendre de quoi il s’agit. Les divers critères – qui sont de fait les principes fondamentaux de l’AFD – décrivent l’étendue des domaines touchés par l’AFD, de la conservation de la biodiversité aux multiples avantages liés aux produits du bois et aux produits non ligneux que procurent les forêts. Les indicateurs locaux ou sur le terrain ajoutent ensuite de la profondeur à ce cadre en montrant précisément comment ces importants principes seront mesurés et évalués. Si les C-I doivent servir à faire connaître les questions d’AFD au public, il est extrêmement important qu’ils portent sur les préoccupations et les intérêts du public, et qu’un mécanisme de rapport au public, facilement compréhensible, soit mis en place.
La recherche. Les premières étapes des projets d’élaboration de C-I sont souvent dirigées par des gens provenant du milieu de la recherche – chercheurs, universitaires et spécialistes du gouvernement. En règle générale, ces gens connaissent bien les indicateurs qui sont largement utilisés dans des domaines comme la gestion de la faune. Si un projet d’élaboration de C-I a été conçu pour répondre à d’importantes questions de recherche, la participation de ces spécialistes est cruciale afin que l’information recueillie puisse effectivement répondre aux questions qu’il faut résoudre.
Il y a beaucoup de chevauchement entre les cinq utilisations possible décrites ci-dessus, mais également de subtiles différences quant à leur importance qui auront une incidence réelle sur la façon dont tout projet d’élaboration de C-I sera mené à bien. Les projets d’élaboration de C-I qui réussissent sont ceux qui comprennent ces différences et font les choix qui s’imposent. Aucune approche particulière ne peut être appliquée à toutes les forêts modèles puisque les choix dépendent des facteurs locaux. Néanmoins, il reste que les indicateurs locaux peuvent aider les divers partenariats à assurer l’aménagement durable et à mettre en œuvre de bonnes pratiques de gestion sur le terrain.
Martin von Mirbach, environnementaliste et éducateur en matière d’environnement d’Ottawa (Canada), s’est joint au programme canadien des forêts modèles lors de sa création il y a plus de dix ans. Auteur de Practical Guide to Using Local Level Indicators in Newfoundland and Labrador pour la Forêt modèle de l’ouest de Terre-Neuve et du Guide de l’utilisateur pour les indicateurs locaux de l’aménagement forestier durable : Expériences du Réseau de forêts modèles du Canada, il a travaillé auprès de diverses forêts modèles et du Réseau. Il travaille présentement au Sierra Club du Canada sur des questions liées aux forêts, au changement climatique et à la certification forestière.